Alors qu’en Occident on se bat pour maintenir un service public universel et de qualité, dans le Sud, on renonce le plus souvent, à travailler avec l’Etat pour concentrer nos efforts sur les structures privées. Comment expliquer, justifier ce paradoxe ?
Confrontée à la problématique de l’intervention dans le privé ou dans le public, la FAM mène en permanence cette réflexion et nombre de débats en découle. Je tenterai, en tant que président de la FAM, d’expliciter ce choix de longue date.
« Gareth Evans, ancien président de l’International Crisis Groupe propose quatre critères pour assurer le succès d’une ONG :
1) Correspondre à un besoin ;
2) Avoir une mission clairement définie ;
3) Être indépendante, en particulier vis-à-vis des Etats ;
4) Être professionnelle. » [1]
La Fondation Avenir Madagascar réunit tous ces critères, sauf le dernier, puisqu’elle ne vit que grâce à des bénévoles et sa taille est très petite face aux grandes ONG, mais elle se veut toutefois professionnelle, dans la mesure où elle est active depuis plus de 20 ans sur Madagascar et son action est permanente et suivie.
Dans le cadre de ce questionnement, le point 3 retient toute notre réflexion et notre attention.
Pourquoi ne pas collaborer avec les services publics, avec l’Etat dans nos activités à Madagascar ?
Madagascar, un pays prometteur, mais aussi problématique.
Afin de répondre à cette question il est important de reporter notre aide à la situation malgache :
- Un pays pauvre en développement : au niveau national, la pauvreté atteint plus de 80% de la population en 2022. Elle s’est encore accrue durant ces dernières années, particulièrement dans les villes.
- Un développement très inégal : si les agglomérations sont développées, les campagnes sont laissées en marge. Cette disparité dans le développement entraîne des conséquences directes sur la vie des populations : dans les agglomérations, nous trouvons des centres de santé, des écoles publiques et privées, des lieux de formation professionnelle, des banques, des supermarchés, etc, alors que dans les campagnes, pourtant très prochse des villes, aucun accès à ces infrastructures de base n’est possible facilement.
- Un régime politique démocratique : le système politique est semi-présidentiel et bicaméral. Le régime est toutefois très dépendant des acteurs internationaux. Les véritables décisions sont prises par les grandes institutions internationales, les pays du Nord ou les multinationales qui appuie, financièrement le développement de Madagascar. La marge de manœuvre laissée au Gouvernement malgache est ainsi très réduite.
- Un système scolaire très problématique : les chances d’accès aux études supérieures (Université ou Hautes Ecoles) sont totalement dépendantes du niveau de richesse familiale et du lieu d’habitation. En campagne et dans les zones reculées de l’île, l’accès à une scolarité adéquate est quasiment impossible pour les élèves.
- Une corruption endémique : régulièrement dénoncée dans la presse nationale, elle est présente à tous les niveaux de l’Etat, des plus bas jusqu’aux plus hauts.
- Un pays victime des fléaux naturels : ouragan dans le nord de l’île, sécheresse dans le sud. Ces fléaux entraînent malnutrition, épidémies diverses et destructions. Avec le réchauffement climatique global les choses ne vont pas s’arranger pour Madagascar.
[1] Jacques Forster, Coopération Nord-Sud, Tome 3, p. 140, 2023, Editions Alphil, Neuchâtel.
Mais un pays très riche de ses habitants, de sa nature, de son sous-sol, de sa flore et sa faune endémiques et de son climat. Il attire des touristes du monde entier et mise actuellement sur le tourisme doux. La protection des paysages et des ressources naturelles est actuellement une priorité, qui se heurte souvent aux intérêts individuels des acteurs locaux et des grands groupes internationaux. Ce n’est pas souvent que le pays et sa population gagnent dans ce duel inégal.
Ce constat sur le pays pourrait être posé sur tout autre pays en développement.
Le « privé » : la souplesse d’action.
Entant que petite ONG, reposant uniquement sur des donateurs privés et institutionnels en Suisse, avec un programme très limité, nous avons, dès le départ, choisi de travailler avec le secteur privé, catholique en l’occurrence. Nous aurions pu travailler avec les protestants ou les anglicans ou des structures laïques, mais la rencontre entre les fondateurs et les acteurs sur place en ont décidé autrement.
Nous devons bien le reconnaître, agir dans le « privé » est nettement moins lourd que dans les institutions publiques : pas ou peu d’administratif, de la souplesse et de la rapidité d’action, une corruption amoindrie, des acteurs locaux clairement définis, etc.
Tous nos projets sont suivis et développés, sur place, par des acteurs qui comptent sur notre volonté de les aider, en toute confiance, ce qui ne va pas de soi. Cette confiance s’est construite en de nombreuses années et repose sur des contacts permanents entre le Sud et le Nord, entre les différents membres de la FAM et les instances successives dans les institutions malgaches, par des discussions franches et des négociations serrées.
Cela ne serait pas possible entre la FAM et l’Etat malgache, les uns et les autres ne poursuivant pas les mêmes buts. Du côté de la FAM, la formation professionnelle des plus démunis, le développement d’une classe sociale éduquée et libre, alors que du côté de l’Etat, les dirigeants sont de passage, les instances locales sont au service des ministères et ont à rendre compte de leurs faits et gestes à la hiérarchie établie. Cela n’empêche pas de bonnes relations avec les différentes instances politiques qui se succèdent dans le pays.
Nous situons notre implication dans le terrain, au plus près de la population bénéficiaire, loin des réflexions géopolitiques qui devraient être menées par les spécialistes et autres responsables nationaux et internationaux.
Une anecdote
Une présidence récente avait mis dans son plan d’action l’insertion et la formation de nombreux enseignants FRAM (« Fikambanan’ny ray aman-drenin’ny mpianatra », littéralement : association des parents d’élèves). Nous avions élaboré un programme de formation pour des enseignants en partant des besoins du terrain et des réalités malgaches. Le plan a été présenté au ministre concerné qui l’a trouvé très intéressant. Il nous a renvoyé à son secrétaire général qui lui-même nous a prié de prendre contact avec l’UNICEF, en charge de la formation des enseignants malgaches. Le responsable de l’UNICEF, responsable des actions dans l’Océan Indien n’a jamais repris langue avec nous. Depuis, le ministre et son secrétaire général ont été congédiés, le responsable de l’UNICEF en retraite, certainement. Le Président, qui avait lancé cette étonnante idée, n’a pas obtenu l’assentiment populaire lors d’une élection suivante.
Pierre Petignat – Président de la Fondation Avenir Madagascar, 24 février 2025

